Entretien

Entre vacarme et silence

Entretien avec Patrizia Romito

Patrizia Romito, professeure de psychologie sociale à l’Université de Trieste, en Italie, et intellectuelle féministe incontournable, a consacré plusieurs décennies à l’étude des violences faites aux femmes, décortiquant les rapports de domination sexistes qui traversent nos sociétés. En cette ère post-#MeToo, elle nous aide à comprendre que les violences faites aux femmes s’inscrivent dans un large continuum de mécanismes qui visent à contraindre et à limiter la liberté et la parole féminines. Son ouvrage phare, Un silence de mortes: la violence masculine occultée, se pose aujourd’hui comme une référence en la matière. Depuis des années, Romito s’intéresse également à la santé mentale des femmes et aux réponses qu’offre la société aux violences que celles-ci subissent. Bien que ses travaux soient appréciés des milieux militants, féministes et universitaires, ils demeurent peu connus au Québec. Dans la dernière année, j’ai eu la chance de rencontrer Patrizia Romito à deux reprises, d’abord au Congrès international des recherches féministes dans la francophonie, à Paris, puis à Rome, à l’occasion d’un tournage qui m’a amenée à m’intéresser aux rouages des mouvements d’extrême droite en Italie, qui banalisent et perpétuent les violences faites aux femmes. Cet entretien est tiré des discussions que nous avons eues lors de ces deux rencontres.

Au sein du mouvement féministe, il est admis que la prise de conscience intime peut déclencher des réflexions transformatrices et critiques, qui permettent de politiser la sphère privée. Le slogan féministe des années 1970 «le privé est politique» en est le reflet. En ce sens, je suis curieuse de connaître les origines de votre intérêt pour votre objet d’études, soit les violences masculines. Pourquoi avoir voulu les analyser spécifiquement? Est-ce né d’une expérience intime, justement?

J’ai toujours été féministe et bien consciente de l’oppression des femmes, et mobilisée pour lutter contre cette oppression. Mon premier objet d’étude en tant que psychologue et chercheuse a été la santé mentale des femmes, surtout en lien avec le mariage et la maternité. Nous étions alors à une autre époque, soit les années 1980, alors que les premiers travaux des féministes nord-américaines portant sur les violences commençaient à être mis en lumière en Europe. Il était donc logique pour moi de m’intéresser à cette violence machiste, d’abord comme facteur négatif indéniable sur la santé mentale et physique des femmes. De plus, j’avais vécu directement une expérience de violence.

Lors de mes premières recherches, j’ai interviewé plusieurs femmes victimes de violence. Leurs histoires étaient chaque fois singulières, percutantes et frappantes. J’ai compris qu’il était crucial d’entendre la voix de celles qui avaient été reléguées au silence. Il m’est aussi apparu clairement qu’un élément commun unissait ces témoignages: l’inadéquation de la réponse des institutions sociales, comme la police, l’école, la famille ou encore le système juridique, aux problèmes vécus. Le fait est que les victimes sont rarement écoutées, puisque si on les écoutait et, surtout, si on les croyait, cela nous obligerait moralement à intervenir, pour les défendre et pour leur rendre justice.

Léa Clermont-Dion est candidate au doctorat en science politique à l’Université Laval, autrice et membre du Réseau québécois en études féministes.

N° 324: Au marché des corps

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