Des chambres et des forêts
Solitudine, soledad, loneliness, isolamento, ces mots pour la dire, la solitude, sont certes tristes, et beaux, musicaux comme cavatine, toccata, a paciere, ostinato, mais je n’y décèle cependant, et dans les mots et dans la chose, aucune tristesse, rien de pénible, pas de drame, la solitude dans ma vie ne m’ayant jamais été chagrine; à vingt ans, certes, et Molière le fait dire au Misanthrope: «La solitude effraye une âme de vingt ans», mais plus d’effroi chez moi devant elle, depuis fort longtemps, tout au plus ce que les Portugais nomment une saudade; je suis comme l’Italo-Grec Moustaki, pour qui la solitude pour avoir si souvent dormi avec elle, est devenue une amie et mieux une complice. Le métèque chantait avec sérénité qu’elle serait, à son dernier jour, sa dernière compagne…
Pour l’écrivain norvégien Knut Hamsun, la solitude est plus encore qu’un apprivoisement de soi, c’est, dit abruptement, énigmatiquement, la dernière joie… Il l’écrira ainsi, passé la cinquantaine, en 1912, au dernier tome de sa première trilogie du vagabond: «Mais il y a une chose avec laquelle je n’en ai pas fini: me retirer, rester solitaire dans ma chambre, me plaire dans l’obscurité qui m’entoure. C’est tout de même la dernière joie.» Quelques paragraphes plus loin, comme si cette certitude avait besoin d’être réconfortée, de devenir un mantra, il y revient et écrit alors: «Il y a une autre chose avec laquelle je n’en ai pas fini: me retirer, rester solitaire dans la forêt, et me plaire dans l’obscurité qui m’entoure. C’est la dernière joie.»
Solitaire dans ma chambre… solitaire dans la forêt… Pour Knut Hamsun, l’immense écrivain que (shame on me) je n’avais encore jamais lu mais dont je viens, ébloui, de traverser une grande part de l’œuvre, la chambre et la forêt étaient des lieux privilégiés d’inspiration et de respiration, de retrait, les abris d’une solitude à soi; par un poème que l’on trouve dans son seul recueil, Le chœur sauvage, il lie entre eux ce lieu intime et cette vastitude: «Puis je m’en retourne vers la paix de la forêt / À l’heure tardive de minuit. / Je sais l’endroit où embaume un merisier, / Là, je pose la tête dans la bruyère /Et m’endors dans la vaste forêt.»