Défense de la mère délinquante
Drôle d’objet littéraire, Les tranchées est un essai d’une centaine de pages à peine qui sort de l’Atelier 10 et qui suit de près Le sel de la terre de Samuel Archibald, tous deux publiés dans la collection «Documents». Il s’agit d’un recueil de pensées divisé en dix-neuf petits chapitres qui, chacun, rendent à la volée un souvenir, une discussion avec des amies et où, par bribes, à travers la narration, Britt se commet à l’autoréflexion. Loin d’être théorique, l’ouvrage s’inscrit plutôt dans un autre ordre, celui de l’affect et de la création.
Le grand mérite des Tranchées est sans doute d’arriver à consigner une multiplicité de points de vue. Celui de Fanny Britt, bien entendu, mais aussi ceux d’actrices du monde médiatique, littéraire et culturel, mères de toutes sortes (mères célibataires ou de famille recomposée; mères de garçons, de filles, d’un, deux, trois enfants) ou non-mères (celles qui veulent des enfants mais n’y arrivent pas pour diverses raisons; celles qui n’en veulent pas). Ainsi, en discutant avec Madeleine Allard, Isabelle Arsenault – dont les illustrations parsèment le livre – Marie-Claude Beaucage, Alexia Bürger, Annie Desrochers, Alexie Morin, Geneviève Pettersen et Catherine Voyer-Léger, Fanny Britt arrive à recueillir leurs pensées et leurs réflexions, mais aussi à les transmettre sans leur porter atteinte, sans jugement de valeur, avec une sensibilité et une humanité désarmantes.
Ce qui la rend d’autant plus touchante, c’est qu’elle pose d’emblée le fondement de sa réflexion sur son incapacité à se reconnaître dans les archétypes, de telle sorte qu’elle met en place une rhétorique de l’antimodèle, qui se déploie par la revendication d’une singularité nécessaire pour les mères, filles, femmes et féministes que représentent les intervenantes. C’est particulièrement sur cette question, celle du féminisme, que Britt témoigne de pugnacité. Sa critique du féminisme de la deuxième vague et de son analyse de la maternité, venant d’une fille issue d’une génération qui, souvent, à tort ou à raison, le cite en exemple, est aussi audacieuse que nécessaire.