Refuser la grande aventure
La retraite au cœur du premier recueil de nouvelles de Renaud Jean, loin de constituer un moment de ressourcement ou de réflexion, s’avère plutôt être une forme de fuite en mode mineur, la réponse hésitante d’êtres fragiles devant les exhortations généralisées à s’accomplir ou à assurer leur qualité de vie. L’auteur n’insiste pas sur l’odieux des attentes de la société de consommation, pas plus qu’il ne les caricature. Le malaise présenté est plus diffus, le rapport d’appartenance à un quelconque groupe plus complexe, ce qui fait d’ailleurs tout l’intérêt de ces récits. Les attentes sont celles des autres, celles de la famille, des employeurs, des amoureux, mais aussi les nôtres. Qui, après tout, n’aspire pas à une vie extraordinaire? En creux de ces phrases toutes faites se trouve l’idée que notre être n’est pas encore prêt, n’est pas tout à fait suffisant, qu’il doit être sculpté par un travail de «développement personnel» qu’accéléreront des «expériences de vie uniques» et des «rencontres humaines enrichissantes».
Et pourtant, cette route vers la réussite a des allures de chemin de croix: les personnages de Retraite ne sont jamais à la hauteur de la situation, de n’importe quelle situation. Faire passer une journée merveilleuse à un enfant, trouver un projet de retraite, prouver sa valeur lors d’une entrevue d’embauche, se laisser emporter par la magie des voyages. L’échec, aussi minime soit-il, guette toujours. Adoptant une forme de résistance passive devant les lieux communs qu’on leur assène pour les encourager à se prendre en main, les narrateurs et personnages du recueil se réfugient dans leur monde intérieur ou dans des fantasmes de changement draconien. La plume de Renaud Jean est mesurée, juste, leur donnant une voix ultra-lucide et prudemment angoissée, comme si quelque chose, à tout moment, pouvait exploser.
Si les scènes racontées dans Retraite concernent le plus souvent des enjeux microscopiques, les récits versent parfois dans le grandiose et l’utopique, en mettant en scène des sociétés parallèles souterraines, des possibilités d’aventures extraordinaires ou des parcs d’attractions grands comme des villes. D’autres nouvelles laissent planer des visions écrasantes du cosmos et de mondes sauvages. C’est d’ailleurs l’une des ironies du recueil, que les angoisses des personnages restent à peu près toujours les mêmes, qu’ils se trouvent au Biodôme de Montréal ou sur l’île de Pâques.