La moitié du monde

Une étrange façon de reconduire l’absence

En matière de parité, Liberté part de loin, ainsi que le démontre le peu de place accordé aux femmes depuis sa fondation en 1959. Est-il encore possible de changer de cap?

J’ai toujours cru qu’il n’y avait pas de place pour les femmes à Liberté. J’en ai toujours constaté l’absence relative, mais éloquente. Le dossier de cet automne, «Ministère de la Formation. L’éducation à l’ère du management», constitue un énième exemple de ce qui pourrait sembler, à première vue, un oubli, voire une indifférence: aucune femme, et encore moins une féministe, n’y signe un article. Pourtant, l’adoption d’une perspective féministe aurait sans doute permis de mettre en lumière un certain nombre de problèmes liés aux rapports sociaux de sexe dans le domaine de l’éducation, particulièrement en ce qui a trait à sa marchandisation, de même qu’aux représentations sociales et à l’investissement d’espaces symboliques comme l’université. Le point de vue féministe est la tache aveugle de ce dossier et, plus globalement, plus tristement aussi, celle d’une revue qui se veut progressiste comme Liberté.

Le directeur, Philippe Gendreau, stipule que «Liberté n’est pas une revue qui milite pour faire la promotion de l’idéologie féministe, pas plus que pour défendre bec et ongles l’idéologie nationaliste ou indépendantiste ou socialiste». «Yeah, you wish», me dis-je. La multiplicité des points de vue représentée par le dossier dans chaque numéro de la revue permet que le thème soit abordé sous des angles parfois inédits, mais leur traitement n’échappe cependant pas au filtre de l’idéologie. Liberté est, certes, en lutte contre l’engourdissement général des citoyen·ne·s, un affadissement et avachissement entretenus par quelques médias généralistes, mais il n’empêche que la revue reprend certaines idées doxiques. Je suis exaspérée, et le mot est faible, de constater que jamais ni l’expertise ni la perspective des féministes n’est sollicitée pour faire contrepoids à ces idées préconçues. Et je me demande pourquoi ce point de vue féministe n’est jamais adopté. Serait-il trop spécifique, pas assez universel ou appartiendrait-il moins à l’analyse progressiste proposée par un Alain Deneault ou un Éric Martin? Alors, je vous le demande: qu’en est-il, les gars, de l’écrivaine dans la Cité, puisqu’on ne compte toujours que si peu de femmes et de féministes à Liberté?

L’écrivaine dans la Cité

Marie-Andrée Bergeron est chercheuse postdoctorale à l’UQAM et membre du collectif Françoise Stéréo. Son premier livre, Les mots de désordre. Édition commentée des éditoriaux de La Vie en rose, est paru aux Éditions du remue-ménage en 2012.

N° 307: La moitié du monde

La suite de cet article est protégée

Vous pouvez lire ce texte en entier dans le numéro 307 de la revue Liberté, disponible en format papier ou numérique, en librairie, en kiosque ou via notre site web.

Mais pour ne rien manquer, le mieux, c’est encore de s’abonner!