Arthur Buies
L’indépendance de la parole
Chers lecteurs du futur, à moi qui vous écris en pleine campagne électorale provinciale, dites, le magnat de la finance qui se présente dans la métropole des Basses-Laurentides a-t-il été élu? Comment ne pas songer aux doux mots d’Arthur Buies qui, établissant une relation entre la géographie rude de nos terres et ses mœurs politiques, rappelait que, «si une bonne partie du Canada conserve encore les traditions et les mœurs du dernier siècle, c’est grâce aux Laurentides»? Il ajoutait au passage que «la neige y est bien, il est vrai, pour quelque chose, la neige qui enveloppe dans son manteau muet tout ce qui reste, et endort dans un silence de six mois hommes, idées, mouvements et aspirations». Il est vrai que l’hiver a tendance à y être long.
Les choses changent lentement et la littérature a le don de nous le rappeler. Tout récemment, dans son Camarade Mallarmé, Jean-François Hamel nous apprenait qu’à cause des nombreuses lectures (politiques) qu’en ont fait de multiples penseurs, de Sartre à Rancière, des existentialistes aux maos, le célèbre poète-professeur d’anglais fut bien davantage un contemporain du vingtième que du dix-neuvième siècle. En effet, la littérature prend souvent des détours surprenants et chaque époque établit de nouveaux partages, forme des nouvelles communautés à partir des textes qu’elle se donne à lire, choisit en quelque sorte les hiéroglyphes du passé qu’elle décide d’interpréter. En bref, sont contemporains les textes que l’on lit, qu’ils soient écrits par le voisin ou par l’ennemi juré des ultramontains.
Lisant les textes de nos trois auteurs, j’ai été saisi par la contemporanéité d’Arthur Buies. Le «Rétroviseur» s’était jusqu’ici intéressé à des romanciers et à des poètes.
Peut-être est-il aisé de penser que les ouvrages d’imagination du passé se démodent moins vite que les essais. Il est aussi surprenant de constater qu’un auteur n’ayant partagé le sol québécois avec mon arrière-grand-père Gaston que six brèves années soit si actuel. Autant dire que Buies vit dans un Québec encore bien loin de ce qu’on circonscrit vitement comme la «modernité québécoise». Pourtant, Élisabeth Nardout-Lafarge, Michel Vézina et Martine-Emmanuelle Lapointe nous disent que la virulence de Buies à l’égard du conservatisme de son époque pourrait et devrait servir d’inspiration aux luttes de la nôtre. Plus encore, tout en gardant son lustre d’antan, quelque chose dans son ton, dans sa verve, n’aurait pas vieilli, faisant mentir l’idée reçue que la chronique est un genre littéraire voué à être presque immédiatement périmé. Les textes de ce «Rétroviseur» nous rappellent que la mauvaise foi et l’humeur maussade sont le principe premier de la résistance aux valeurs dominantes de n’importe quelle époque. À ce compte-là, il me semble que Buies a sa place dans ces pages.