L’utopie d’un journal libre
Il était une fois un petit journal appelé Québec-Presse, vendu pas cher (20 cents), distribué raisonnablement (25 000 exemplaires), vilipendé par ses adversaires, chéri par ses artisans; un hebdomadaire d’à peine trente-cinq pages qui caressait de grandes, voire de très grandes ambitions: celles de réanimer la lettre et l’esprit de la Révolution tranquille. «Grosse commande», dit celui qui, quarante-cinq ans plus tard, en fait l’autopsie, le journaliste et membre fondateur de Québec-Presse, Jacques Keable.
Certains s’en souviendront comme du journal où se croisaient Jacques Parizeau, Gérald Godin, Robert Lévesque et Micheline Lachance. Le journal attirera d’autres figures bien connues: Georges-Hébert Germain, Jacques Guay, Claude Jasmin, Michel Lacombe, Pierre Pascau, Pierre Vadeboncoeur et Pierre Vallières. Secret bien gardé toutes ces années, Québec-Presse comptait également dans ses rangs «l’introuvable» Réjean Ducharme, l’écrivain fantôme du Québec qui corrigeait en catimini, tous les samedis soirs, les épreuves du journal.
Né en octobre 1969 dans l’effervescence de la gauche d’alors, l’hebdo se veut d’abord une riposte aux critiques, souvent malveillantes, à l’égard des syndicats. «Il nous faut un journal», chuchote-t-on dans l’entourage du président du Conseil central de Montréal, le «bouillant syndicaliste» Michel Chartrand. On voit grand. Pas question de publier une simple feuille de chou, mais un périodique qui pourrait, sur un tout autre modèle, faire concurrence aux hebdos Dimanche Matin et Dernière Heure, propriétés de Power Corporation. Québec-Presse, qui publiera dans son premier numéro une Déclaration de principes, se veut «un journal d’information et de combat […] entièrement indépendant des forces capitalistes».