Repenser la souveraineté

Imaginer est un geste politique

La souveraineté est aussi l’appropriation d’une fiction qui nous définit.

«Vous êtes donc chanceuse vous, d’écrire! Vous pou­­vez inventer, imaginer toutes sortes d’affaires…»

Combien de fois ai-je entendu cette phrase? Quoi! Le fait que je sois écrivain m’autoriserait à la fiction? Mais ma voisine qui n’écrit pas n’y aurait pas droit? Comme s’il y avait des métiers qui rendent l’imagination légitime et d’autres qui la tiennent pour déplacée. Dans tous les domaines d’ailleurs, et sans souci de classe. Un avocat, un cultivateur, une femme d’affaires n’auraient pas la liberté ou le droit d’inventer leurs propres fictions.

Pourtant, quand on est enfant, on ne fait que ça, imaginer des jeux, des personnages. On dessine des formes abstraites sur la page, qui nous entraînent dans les circonvolutions du monde métaphysique: celui des mys­tères et de la vie. La savonnette, le cadran, les moutons qui courent sous le lit deviennent les narrateurs de nos contes. Nos histoires naissent lentement du silence de nos manipu­lations. La parole se déploie avec les histoires qu’on invente. Petit, on se crée même une voix pour faire parler nos figurines. Au-dessus de notre lit, les gens qui s’approchent ou s’éloignent de nous, le lieu où nous sommes, les phrases que nous entendons nous plongent constamment dans un drame qu’on tente de comprendre. Nous sommes au théâtre. Alors, comment se fait-il que tout s’arrête? Pourquoi ça s’interrompt pour la majorité des gens, cette capacité d’imaginer ou d’inventer? Pourquoi cette appropriation du réel, cette façon de s’en saisir, cette manière de le transformer pour le faire nôtre, n’est-elle plus une activité acceptable, passé un certain âge? À douze ou treize ans, on dirait qu’un premier interdit se dresse. Il faut devenir «réaliste». La réalité prend toute la place. On se met à faire des dessins réalistes, à chercher des histoires réalistes, à regarder des émissions à contenu réaliste. Même nos premiers baisers sont réa­listes. Adulte, l’imagination n’est déjà plus pour nous. On laisse ça aux artistes, «ces chanceux qui peuvent imaginer»! Comme une frontière qu’on dessine soi-même et qu’on s’interdit ensuite de franchir. Pourtant, tout le monde a une mémoire qui n’est rien d’autre que de l’imagination, en somme.

Lise Vaillancourt est auteure dramatique, comédienne et romancière. Nous étions nés pour ne jamais mourir, son troisième roman, est paru chez Leméac cet automne.

N° 310: Repenser la souveraineté

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