Économie de la mort
La liberté, pièce de Martin Bellemare mise en scène par Gaétan Paré, raconte un jour dans la vie d’une famille en apparence unie. Le fils commence ce jour-là un nouveau travail, où il suit les traces de son père, Paul (Frédéric Blanchette). Max (Simon Landry-Désy), ce jeune homme de 18 ans, vient en effet d’être employé comme préposé à l’accueil dans une succursale d’un service gouvernemental permettant à tous ceux qui le désirent de s’enlever la vie de manière efficace et sécuritaire grâce à un environnement extrêmement contrôlé. Paul et son collègue Peter (Gérald Gagnon) l’accueillent fièrement au sein de leur équipe. C’en est trop pour Mary (Dominique Leduc), dont le mari et maintenant le fils s’engagent dans des carrières de bourreaux. Elle s’abandonne alors à ses envies suicidaires et s’enregistre comme candidate pour ledit service, dans le but de démontrer à sa famille les failles d’un système dans lequel la mort est prise en charge par la bureaucratie.
S’est ainsi joué en octobre, sur la petite scène de la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier, le drame de cette famille appartenant à une société un brin tordue, dans une mise en scène somme toute assez conventionnelle, mais qui s’appuie sur de légers décalages.
La prémisse du récit ainsi que ce monde fictif imaginé par Bellemare installent d’emblée un contexte déphasé. La banalité de la mort et son intégration à des protocoles stricts au vocabulaire aseptisé composent un environnement étrange qui implique un usage de l’ironie associé au théâtre nordique. Je pense par exemple au Norvégien Fredrik Brattberg et à son récent texte Retours, où un fils ne cesse de mourir pour mieux revenir, jusqu’à épuiser les parents qui en arrivent à le tuer eux-mêmes afin d’abréger leurs propres souffrances. L’étrangeté et le fantastique de l’affaire y sont traités de manière complètement normale, presque monotone, et surtout sans magie, ce qui fonctionne d’abord en tant que ressort comique, puis s’impose comme terrible au fil des réincarnations.