Miroir, miroir
Pour m’aider dans la petite recherche que je mène en vue de la rédaction de cette critique, Google me propose la lecture d’une recension, parue dans le magazine Elle France, du roman que Mathieu Larnaudie a consacré à l’actrice Frances Farmer et, plus largement, à ce moment où le cinéma américain se développe en industrie culturelle et aveugle de ses projecteurs le public qui l’engraisse. On y cite une libraire, Paris 17e: «C’est une très belle histoire de femme, à la personnalité atypique. Et en filigrane, une réflexion presque politique sur l’image.» On y est.
Beaucoup de choses clochent dans ces deux petites phrases. D’abord l’adéquation entre la «belle histoire de femme» et le caractère atypique de son personnage. Parce que les femmes ordinaires, on aime moins. Mais un autre élément de cette phrase me chicote encore davantage que son sexisme latent; c’est toute la charge précisément politique que contient cette description, et surtout ce «presque», cet adverbe euphémisant et bien-pensant qui cherche à éviter à tout prix le dissensus définitoire du mot-qu’il-ne-faut-surtout-pas-prononcer: POLITIQUE.
Plus encore que tous les préjugés et stéréotypes reconduits par la libraire, l’idée de la littérature et plus largement de la culture qui est suggérée par cet adverbe, c’est-à-dire une culture reléguée au consensus et à la redite, à l’atténuation d’elle-même comme force vive, est paradoxalement au cœur de la réflexion proposée par Larnaudie dans son investigation de la figure, sur et hors de l’écran, qu’a été Frances Farmer. Par l’entremise de la biographie de cette actrice américaine des années 1930, Larnaudie refait l’histoire de la naissance du cinéma hollywoodien, le «bras armé» de l’imaginaire étatsunien, «nombre, technique et […] argent faits représentation afin d’accompagner la nouvelle hégémonie américaine […], reflet et point d’orgue» de cette Amérique nouvellement maîtresse du monde.