La souveraineté avalée

Que la notion de souveraineté soit au cœur de toute l’entreprise littéraire de Victor-Lévy Beaulieu, cela paraît une évidence à la condition de donner à ce terme son extension maximale et d’en mesurer les apories. Comme plusieurs indépendantistes que l’on aime qualifier de «purs et durs», VLB n’aime pas le terme de «souveraineté» au sens politique, héritage d’une vision, pusillanime à ses yeux, du projet d’indépendance tel que préconisé (ou plutôt «édulcoré») par le Parti québécois depuis l’époque de René Lévesque – une époque qui semble avoir pris fin avec l’avènement de Pierre Karl Péladeau, dont l’auteur de 666 Friedrich Nietzsche a salué la «volonté de puissance».

Toutefois, à l’encontre d’une certaine évidence média­tique tendant à la caricature et au folklore, il serait erroné de conclure que la pensée de VLB se définit pour l’essentiel par les concepts de nation et de nationalisme. À preuve, ce passage d’un pamphlet publié en 1998, Québec ostinato, où l’on peut lire ce passage:

Pour toutes sortes de raisons, les gouvernements du Parti québécois n’ont jamais voulu débattre vraiment l’idée de culture, par peur vraisemblablement de constater que l’idée de culture est antagoniste avec toute idée d’État-nation […]. Plutôt que d’assumer totalement l’idée de culture, l’État-nation ment dans toutes les langues du bien et du mal, a dit Nietzsche.

«Assumer totalement l’idée de culture»: cette critique de l’État-nation peut étonner mais, chose certaine, la formule fait apparaître une souveraineté plus fondamentale qui n’a rien d’institutionnel et qui semble constituer une sorte de préalable ou de fondement au politique. C’est bien sûr la litté­rature qui est pour VLB le lieu par excellence d’une telle puissance «assumée totalement», mais la question se pose quant à la nature même de cette souveraineté créatrice.