Dire non

Les refus d’Henri Michaux extirpent la littérature de ce qui la transforme en spectacle.

Combien de fois ces dernières années m’en suis-je voulu d’accepter les invitations et d’être allé en studio dans les sous-sols de la tour de Radio-Canada? Il fut un temps où j’y avais mes carnets, puis mes chroniques, je causais de mes lectures au micro amical et attentif de Stanley Péan qui m’accueillait d’un adjectif toujours renouvelé, je pouvais au besoin passer à la moulinette des productions théâtrales au micro matinal de l’espiègle Homier-Roy, ça pouvait aller, ça ne payait pas l’épinard du week-end, mais je n’avais pas l’impression de déconner. Je montais parfois dans les bureaux où il y avait des gens heureux, une vue splendide du fleuve, mais ceux qui l’avait connu n’oubliaient pas le faubourg à m’lasse; les rebords de fenêtres dans le bureau de Stéphane Lépine débordaient de livres, mis en piles, les Louis-René des Forêts, les Handke, les Bernard Comment, les Christa Wolf, les Bergounioux…

Puis se réalisa brutalement la révolution de Lafrance, où tombèrent des têtes, les rares bien faites qui y étaient encore, je pense à celles de Larose et de Lépine, et celle de Major. On vous a assez vus! Le rayon littéraire fut aboli – sur les ondes de la société d’État, désormais populistes, on n’évoquerait plus ni Michaux ni Michon, ni Verlaine ni Volodine. Arrachées et mises sur piques les vieilles têtes pensantes, ah! ça y allait, ça y allait, les Intellectuels on les aurait. Et on les a eus. Tous. Vite fait. Vieux blues Archambault s’agrippa aussi longtemps qu’il le put, lui qui avait connu les grandes heures, avec Hubert Aquin et Wilfrid Lemoine! Sylvain Lafrance – videur de littérature sur les ondes publiques – est aujourd’hui, aux HEC, directeur du Pôle Média, il enseigne l’art de congédier; il a reçu sous Sarkozy le ruban rouge de la République française.

Cette révolution de Lafrance (soutenue par Robert toughfy Rabinovitz – si l’on en croit sa femme qui le déclara tel, toughfy, au cœur du lock-out de 2002) fit disparaître d’un claquement de doigts la chaîne culturelle, rasant le peu qui en restait, les Passages de Larose, les Paysages littéraires de Lépine. Arrivèrent dans les sous-sols le tout-venant des artistes de variétés, une arriviste comme Pintal qui, avant de s’imaginer ministre péquiste, tint studio tout en dirigeant le TNM comme on gère un bar laitier (un peu de cacao, un peu de caramel), un gars de la marine comme ce bon vieux Raymond Cloutier, on entendit des Biz, des Thúy, on invita des Éric-Emmanuel Schmitt à chacun de ses passages, et, grande évolution dans l’approche littéraire, on se mit à organiser des combats de livres avec des vedettes se colletant en camisoles, et des gongs; on m’invitait encore, dans les sous-sols de la tour, pas pour monter dans le ring, mais lorsque je venais de publier quelque chose qu’on n’avait certes pas lu.

Robert Lévesque est écrivain. Son dernier ouvrage, Vies livresques, vient de paraître chez Boréal (2016), dans la collection «Papiers collés». Il dirige également chez le même éditeur la collection «Liberté Grande».

N° 313: Séduits par la droite

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