L’eau et la violence d’État
Bien qu’il s’agisse d’une broutille, il m’est difficile de ne pas mentionner le court-métrage de Chloé Sainte-Marie sur elle-même – se mettant en scène au présent et dans les derniers temps de la vie de Gilles Carle (images de ses obsèques comprises) – projeté avant Le bouton de nacre, tant un choix de programmation si regrettable a perturbé mes premiers moments en compagnie du film de Patricio Guzmán, la mièvrerie complaisante du court-métrage parasitant le calme majestueux des premières images du long.
Le bouton de nacre est une méditation sur l’eau et son rôle vital, aussi bien à l’échelle cosmique de la vie terrestre qu’à celle, matérielle et cosmogonique, des peuples autochtones qui habitaient l’immense archipel qu’est la Patagonie chilienne avant qu’ils ne soient décimés par les Blancs.
Le film, qui se ramifie mille et mille fois, évoque donc la place également funeste qu’occupe l’eau dans l’histoire du Chili, une histoire de disparitions. Celle, d’abord, des cinq groupes autochtones qui vivaient dans le réseau infini des îles et des chenaux de l’extrême sud américain, parqués, christianisés, affamés, massacrés lorsqu’il a plu à des colons de venir s’établir sur leurs terres. Aujourd’hui encore, les règles de la Marine chilienne interdisent à l’un des vingt survivants actuels de ces peuples de l’eau de naviguer dans un canoë de sa fabrication – lui qui a passé plusieurs fois le cap Horn avec son père – par mesure de «sécurité».