Accoucher d’un cœur par césarienne
En 1986, Brigitte Haentjens écrivait déjà au sujet de Patrice Desbiens, dans la revue Liaison: «Son ironie protège du désespoir.» Trois décennies et près de vingt recueils plus tard, un constat s’impose: la manière dont les critiques font l’éloge du poète perpétuellement associé à Sudbury – qu’il n’habite plus depuis un quart de siècle – a peu changé, un brin à l’image de sa poésie. À ce titre, on se référera au commentaire du principal intéressé, adressé plus tôt cette année à Dominic Tardif du Devoir: «On dirait, des fois, que vous êtes tous allés à la même école, les journalistes.» Sixième recueil de l’auteur chez l’Oie de Cravan, Vallée des cicatrices nous donne l’occasion, encore une fois, de constater comment le caractère sordide du quotidien se mire dans l’écriture dépoitraillée de Desbiens.
Le précédent recueil de Patrice Desbiens, Les abats du jour, se terminait sur un poème intitulé «Demande de bourse»: «Cher conseil des arts / trop vieux pour vendre / mon corps / ou vivre dehors // envoyez pizza / toute garnie / et // $$$ […] merci». Est-ce une pure coïncidence que les deux premiers vers qui déblayent le chemin pour les trente-quatre poèmes de Vallée des cicatrices soient: «encore une fois / perdu dans le poème»?
Au fil des publications, bien que certains recueils, comme Les abats du jour, se révèlent difficilement égalables, une impression perdure: Desbiens semble travailler plus à ses «œuvres complètes» qu’à une suite de briquettes inconséquentes. On retrouve donc dans ce recueil l’aisance et le mépris du détour mis au service d’un pessimisme ludique qui caractérise l’auteur. Une poésie souvent sous forme de microfictions qui rapproche Desbiens du cinéma d’exploration de «l’épaisseur humaine» de Robert Morin.