Essai libre

Sexus inutilis?

La parité est une façon pragmatique d’établir une égalité entre les hommes et les femmes. Au-delà de cette opposition binaire existe cependant une multiplicité d’identités qui ne se résument pas à un supposé combat des sexes. À quoi aspirer au-delà de la parité?

Il fut un temps où tout était si simple. Il y avait des hommes, il y avait des femmes. Des identités fondées sur un programme invitant les mâles à incor­porer le masculin – appelons ainsi tout l’attirail corrélé à la virilité et / ou à l’autorité – et à investir les terri­toires idoines pour devenir des hommes, et les femelles à performer le féminin et à occuper le territoire de la féminité, corrélée à la douceur et à la subordination – et à s’y tenir! – pour devenir des femmes. Mais voilà que, progressivement, du trouble s’est introduit dans le système d’assignation. Il en est qui ne se recon­naissent pas dans ces modèles, refusent d’endosser ces rôles normatifs et prennent leurs distances, assouplissant ce faisant les normes. Il en est d’autres qui adoptent carré­ment les comportements attribuables à l’autre sexe: des femelles qui investissent des territoires masculins et deviennent des hommes, des mâles qui s’identifient au féminin et deviennent des femmes. Celleux-là (oui, la langue s’enfarge dans le genre) constituent l’ultime preuve, s’il en fallait, que rien de tout cela n’est naturel: le féminin – et son avatar qu’est la féminité – ne vient pas naturellement aux femelles, pas plus que le masculin n’est inhérent aux mâles.

Parallèlement, on réclame une plus juste représentativité des identités sexuelles, non seulement en politique mais également en culture, dans le monde des affaires, bref, partout dans la vie publique. En fait, ce qui est revendiqué, c’est une plus grande diversité dans les représentations: le monde n’est pas que blanc, masculin, cisgenre et hétéro. Cette notion de représentation est intéressante en ce qu’elle convoque à la fois la dimension politique – fondée sur ce principe même – et la dimension symbolique – dans la mesure où c’est là la fonction première des objets culturels. Mais l’enjeu n’est pas seulement de se voir représenté·e; il concerne aussi le pouvoir de représentation, qui implique que chacun·e se voie reconnaître la légitimité de représenter un groupe, une communauté, voire l’humanité, que ce soit au Parlement ou sur les scènes, les écrans, petits et grands. Chose certaine, le manque de diversité, tant dans les instances politiques et institutionnelles que dans les objets culturels, tranche radicalement avec la diversité grandissante que l’on observe autour de nous. Du binôme H-F résumant l’état civil, nous sommes passés à un acronyme qui n’a de cesse d’étirer l’alphabet pour rappeler l’existence des exclu·es: LGBTIQA (pour lesbiennes, gais, bisexuel·les, trans*, intersexuel·les, queer, asexuel·les). Phénomène également visible dans la récente introduction, dans certains pays, d’un «troisième sexe», permettant de cocher ailleurs que là où on est homme ou femme, ou encore dans le déploiement des possibles identitaires désormais offerts par Facebook. Partout dans le monde, des initiatives vont en ce sens: ici on en appelle à l’effacement de la mention de sexe sur le passeport; là, à supprimer les icônes identifiant les salles de toilette. Autant de signes que la bicatégorisation ne parvient plus à dire le monde.

D’aucun·es crient à l’hérésie: tout cela reposerait sur un obscur programme idéologique visant à…? On ne sait pas trop. Pourtant, cette «hérésie» ne repose pas sur du vide: en 1993, la biologiste Anne Fausto-Sterling lançait un pavé dans la mare scienti­fique en avançant qu’il y avait cinq sexes, sapant l’assise des certitudes naturalistes ayant servi à échafauder l’édifice du genre. Quelques années plus tard, elle reformule: «[i]l est plus juste de représenter le sexe et le genre par des points répartis dans un espace multi­dimensionnel», disqualifiant ainsi le binarisme une fois pour toutes. Et si l’on considère que c’est à l’interface du sexe et du genre que s’expriment les identités sexuelles, on le voit: aujourd’hui, il y a toujours des hommes et des femmes, mais parmi elleux, certain·es sont cisgenre, c’est-à-dire performant un genre en phase avec le sexe assigné à la naissance, d’autres sont transgenre, c’est-à-dire auto-assigné·es, d’autres encore sont des personnes intersexuées, et il en est d’autres enfin qui se montrent récalcitrants devant ces assignations, se réclamant d’une identité fluide. Mais comme le faisait remarquer Judith Butler, l’orientation sexuelle, dernier maillon de l’axe sexe / genre / désir, participe également – du moins pour certain·es – de l’identité: ainsi il y a des hétéros, des gais, des lesbiennes, des bisexuel·les, des pansexuel·les.

Isabelle Boisclair est professeure à l’Université de Sherbrooke. Ses recherches portent sur les représentations de l’identité de sexe / genre et de la sexualité dans les textes littéraires contemporains. Elle a récemment publié, en collaboration avec Lucie Joubert et Lori Saint-Martin, Mines de rien. Chroniques insolentes (Éditions du remue-ménage, 2015).

N° 313: Séduits par la droite

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