Le retour du guillotiné
Le roman de Joseph Andras, en relatant la vie de Fernand Iveton, ouvrier et militant de l’indépendance algérienne, répond au silence de l’État français qui signa sa condamnation à mort.
Né le jour de la Toussaint en 1944, j’eus mes dix ans le jour même où avait lieu dans les Aurès ce que l’on appela «la Toussaint rouge», l’insurrection nationaliste marquant le déclenchement d’une guerre qui allait se terminer en 1962 avec les accords d’Évian, le cessez-le-feu et l’indépendance du vieux pays arabe d’Abn el-Kader et de l’ensoleillé pays méditerranéen de Camus, deux pays dès lors dissociés, ou disjoints, l’un réel, l’autre mémoriel; pour le gouvernement français de la Quatrième République (Auriol, Coty) et pour De Gaulle revenu en créant la Cinquième, comme pour la presse populaire de métropole, il ne s’agissait en effet que des «événements d’Algérie»; trente ans plus tard, Tavernier et Rotman vont signer un documentaire au titre idoine, La guerre sans nom.
À dix ans, au Québec, mes événements étaient d’un autre ordre, mes Toussaints se suivaient, je grandissais, j’attendais le Tintin nouveau, Duplessis n’existait pas à la maison, ma mère posait un petit parasol de papier crêpe sur mes gâteaux d’anniversaire et mon père, l’été, s’acharnait à faire de moi un joueur de baseball (comme chez Arthur Miller dans son premier essai au théâtre, L’homme qui avait toutes les chances – un essai qui fut un bide pour Miller et pour mon père itou); je crus, à la batte, préférer le piano, mais parce qu’elle quittait le clavier pour se poser sur ma cuisse gauche, une main ecclésiastique m’en éloigna vite, malchance qui me donnerait à vie la nostalgie de ne pas être devenu un Van Cliburn – l’Américain remportait à Moscou le premier concours Tchaïkovski en 1958, héros pianistique de la guerre froide, une guerre avec adjectif celle-là – ou un Samson François, bref, un pianiste inspiré, ce qui, avec le métier de détective dont j’attrapai le goût dans les romans de Chandler (le privé aux semelles de crêpe), aura constitué mes deux grandes carrières loupées…
Robert Lévesque est écrivain. Son dernier ouvrage, Vies livresques, vient de paraître chez Boréal (2016), dans la collection «Papiers collés». Il dirige également chez le même éditeur la collection «Liberté Grande».