Le cynisme accompli

Ce que le troll fait à la politique.

La commission Charbonneau, le scandale des sénateurs conservateurs d’Ottawa, la nsa américaine qui a illégalement espionné un milliard de personnes, Rob Ford, l’Italie de Silvio Berlusconi, la Russie de Poutine… Nous vivons une période politique particulièrement misérable. La politique n’a plus rien de lyrique. Quand l’espoir n’est pas bafoué par les dirigeants corrompus, il est matraqué dans les rues. Mais même les périodes lamentables ont ce petit quelque chose qui les rend singulières. Et la nôtre a peut-être ceci de particulier qu’elle nous force à aller jusqu’au bout de la question du cynisme.

Défaitisme et jouissance

Les vingt-cinq dernières années n’ont été en Occident que gouvernance sans projet, braderie et compromission des institutions au nom de l’équilibre budgétaire et gestion de l’insatisfaction populaire par la violence policière et les promesses creuses. J’ai vécu avec le cynisme pour la plus grande partie de ma vie. Je me suis battu contre lui, j’y ai souvent cédé, et, même dans les rares moments de réel enthousiasme politique que j’ai connus, le cynisme est toujours demeuré une question, un problème.

Il y a assurément un aspect grisant au cynisme, dans sa manière de toujours chercher une représentation limite au politique. La pensée cynique repère les contradictions entre l’idée du politique et sa pratique et les exacerbe jusqu’à provoquer l’illusion de son effondrement. Le cynisme se nourrit du réel, de graves manquements à l’éthique par exemple, mais uniquement dans le but de le pervertir. Il s’empare d’une amitié entre un député et un homme d’affaires et la généralise en collusion, puis reprend la collusion et l’étend à tout un parti et ensuite à toute la classe politique dont le seul but serait de mettre en œuvre le projet de voler les contribuables et de piller les ressources. Un tel discours avait autrefois du sens, lorsque le marxisme concevait le parlementarisme au sein d’une logique de lutte des classes et en proposait la sortie dans son renversement révolutionnaire. Mais depuis l’effondrement de la pensée marxiste, l’opinion publique est laissée à elle-même avec cette logique mécanique qui tourne tout au tragique, et les champions du cynisme ne sont plus à gauche, mais à droite, dans la logique libertarienne qui milite pour la disparition définitive de la démocratie au profit d’une sorte de féodalisme orchestré par l’entreprise privée.

Mathieu Arsenault est auteur et critique. Il anime le blogue Doctorak, GO! depuis novembre 2008. Son roman Vu d’ici, paru aux Éditions Triptyque en 2008, a été adapté pour le théâtre par Christian Lapointe en 2012.

N° 303: Politiques culturelles

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