Bel ensemble
Jérôme Bel est-il chorégraphe? Formé comme danseur, reconnu comme l’un des plus importants créateurs en arts vivants des vingt dernières années, l’artiste français se plaît à entretenir une certaine ambiguïté quant à l’étendue de sa propre autorité auctoriale sur ses créations, souvent de nature collaborative. Qu’y a-t-il conçu, dirigé, réglé, imposé? La réponse n’est jamais claire, ou du moins rarement simple.
Ainsi, à l’occasion de la présentation montréalaise de Gala en guise de clôture à l’édition 2016 du Festival TransAmériques, il déclarait à la journaliste Catherine Lalonde du Devoir: «Bien entendu, je remets en cause ma propre fonction, fonction autoritaire s’il en est. Aujourd’hui, j’essaie de créer des dispositifs dans lesquels des individus peuvent trouver un espace de liberté et d’expression.» L’usage du terme «dispositif» dans un tel contexte m’intéresse. Omniprésent dans le discours sur les arts vivants, il désigne souvent une structure scénique ouverte aux interactions entre acteurs et spectateurs. En lecteur de Michel Foucault, j’associe plutôt ce vocable à des ensembles hétérogènes de mécanismes régulateurs – discursifs, légaux, techniques, architecturaux… –, dont les plus insidieux seraient peut-être justement ceux qui promettent «un espace de liberté et d’expression».
Rappelons rapidement comment s’articule l’œuvre Gala, d’abord montée à Paris en 2015 puis recréée depuis dans différentes villes à travers le monde, dont Bruxelles, Lisbonne et Québec. Sur une scène dépouillée – à Montréal, celle de la grande salle Ludger-Duvernay du Monument-National –, une troupe ad hoc de danseurs locaux, où se côtoient une quinzaine de professionnels et d’amateurs diversement expérimentés, se livre d’abord à une série d’exercices individuels ou de groupe. La seconde partie est constituée d’une dizaine de numéros dansés dans une profusion de styles. Pour chaque performance, un membre de la troupe fait office de meneur désigné, les autres calquant ses mouvements, parfois tant bien que mal.