La chasse à l’écriture
L’écrivain n’est ni un historien, ni un anthropologue, ni un philosophe – ou peut-être est-il tout ça en même temps. Il n’emploie pour travailler et se mouvoir dans le monde et dans la pensée ni la même langue ni le même «appareil de sensation» que ces spécialistes. Qu’un écrivain rédige une Histoire de la littérature récente oblige par conséquent le lecteur à modifier son horizon d’attente en fonction des outils que la littérature offre: il n’y trouvera pas une liste d’œuvres et de dates marquantes qui figerait cette histoire comme le ferait un monument aux morts, non plus qu’une réflexion argumentée sur la transformation de l’espace réservé à la culture littéraire en régime contemporain.
C’est sans compter qu’Olivier Cadiot ne fait rien comme les autres. Depuis presque trente ans, il a découpé des manuels de grammaire pour en faire des «poèmes» et redonner vie à la langue morte qui s’y trouve; il a récrit un livret de Roméo & Juliette; il a traduit Gertrude Stein et écrit une dizaine de livres à la forme insaisissable, bricolages de morceaux choisis travestis, de formules figées, d’images récurrentes reliées par un fil narratif: celui d’une langue et d’une forme qui cherchent leur chemin parmi les statues et les ruines qui encombrent la langue et la littérature.
Pas étonnant, dès lors, que son Histoire de la littérature récente trouve son origine dans l’expérience d’un malaise: l’incapacité à habiter l’espace (littéraire) commun. Olivier Cadiot s’y sent à l’étroit, encerclé de formes et de techniques d’un autre temps, mais surtout contraint par une manière d’envisager et de pratiquer l’art qui ne le porte plus vers l’avant, qui gruge la réalité, l’oxyde, au lieu de la mettre en mouvement, voire de l’inventer: