Comédie et tragédie du siècle à venir
Sommes-nous «trop dans la tête et pas assez dans l’âme», comme me le confiait une amie autochtone à propos de l’impression qu’elle a des Blancs? Alors que les premiers peuples rebâtissent leurs cultures, mises à mal par le génocide culturel perpétré contre eux par le Canada avec les écoles résidentielles et la Loi sur les Indiens, en utilisant les outils juridiques du système qui les a opprimés pour défendre les territoires avec lesquels ils sont connectés spirituellement depuis des millénaires, nous, les Blancs, semblons poursuivre une déconnexion d’avec la planète qui pourrait bien mener à l’autogénocide de notre espèce.
Depuis les années 1980, les banques, ayant obtenu de l’État qu’il s’efface devant les forces «naturelles» du marché, profitent grassement de l’assouplissement des réglementations. Et lorsqu’en 2007 et 2008 leurs fraudes ont mal tourné, elles se sont empressées de pleurer leurs larmes de crocodile afin d’obtenir de l’État l’argent pour les sauver. Après un mea culpa de vaudeville, après avoir plaidé qu’elles ne le feraient plus, elles ont rapidement repris leur quête effrénée de croissance perpétuelle sur une planète dont nous mesurons pourtant de mieux en mieux la finitude. La nature virtuelle des produits financiers peut donner l’impression qu’une croissance infinie n’a rien de bien dangereux, mais si nous appliquons ce modèle à l’ensemble des compagnies privées qui s’enrichissent avec les ressources naturelles qu’elles exploitent, on comprend qu’on touche rapidement aux limites de la planète. Nos technologies, bien qu’avancées, ne nous permettent pas encore – fort heureusement – d’aller piller et détruire d’autres planètes, lunes et astéroïdes.
Avant le xxe siècle, nous pouvions soutenir que nous ne savions pas, que l’accès aux savoirs du monde était difficile. La population mondiale était modeste, et la planète si vaste qu’il était impensable d’épuiser un pareil capital naturel. Depuis une centaine d’années, nos progrès ont mis à notre disposition une grande quantité de connaissances et, bien qu’avec internet l’information exacte soit parfois difficile à trouver, tant il y a de pollution factuelle, nous ne pouvons plus plaider l’ignorance. Les compagnies privées tentent de nous séduire en se présentant comme vertes et durables, mais elles s’entêtent à produire plus d’objets pour nous promettre plus d’emplois qui produiront plus de richesse menant à un monde plus-meilleur. On perpétue une approche cul-de-sac en prétendant que le résultat sera différent. La déconnexion avec la réalité est totale. Et les élu·es ne sont pas en reste. À chaque élection, j’ai soif d’un·e candidat·e qui voudrait mener le pays, la province, la ville vers la décroissance. Je rêve d’un·e politicien·ne qui m’en promettrait moins. En vain…
Producteur de documentaires depuis plus de dix ans, dont deux ans comme producteur à l’ONF, Denis McCready a aussi exploré l’écriture d’éditoriaux au Cabaret littéraire des auteurs du dimanche (2004-2014) et sur son blogue au magazine Voir.ca (2012-2015). Il est aussi photographe.