La nation métissée
Il fut un temps où la pureté de la race était une condition essentielle à la survie de la population canadienne, coupée de la France depuis 1760. Pour demeurer française et catholique, elle devait éviter les mariages mixtes, c’est-à-dire les unions avec des anglophones protestants. La religion devenait protectrice de la langue et inversement. C’était à tout le moins le discours d’une bonne partie des élites canadiennes-françaises.
Pendant cent cinquante ans, la Nouvelle-France s’était développée à partir d’une immigration strictement française et catholique. C’était le credo officiel. Il était faux. Au lendemain de la Conquête britannique, il fallait dorénavant miser sur la revanche des berceaux. Faux également. Bien sûr, l’Église catholique encourageait la procréation et condamnait l’avortement. Il n’était quand même pas question pour elle «d’empêcher la famille».
Issus d’un noyau de quelque soixante-cinq mille personnes, les Canadiens doublèrent en nombre chaque vingt-cinq ans. Au moment de l’Acte d’union de 1840, ils étaient plus d’un demi-million, mais une saignée horrible arrêta la progression. Alors que des dizaines de milliers d’immigrants débarquaient sur les rives du Saint-Laurent, un nombre effarant de Canadiens s’expatriaient, non vers l’Ouest canadien, où leur présence n’était pas souhaitée, mais vers les États de la Nouvelle-Angleterre.
Ancien ministre de la Culture, Denis Vaugeois est historien et éditeur. Parmi ses ouvrages, mentionnons La fin des alliances franco-indiennes et L’amour du livre.