Fragments d’une histoire, juste pour rire…
Si j’avais une véritable vocation de philosophe, ma tâche consisterait à contester, par la critique, la critique prévalente. Je démontrerais que celle-ci n’équivaut souvent qu’à un détour bienveillant permettant de cautionner des forces sociales qui cherchent au contraire à paralyser à leur endroit la critique. Cette masse désire préserver son ordre établi, son désordre infini. La pensée s’occupe ainsi à défendre ce qui, au bout du compte, est refus de la pensée. Cela se fait par d’innombrables jeux de miroirs où paraissent au contraire briller mille éclairs de l’invention critique. Mais le compte final dit tout: les choses non seulement restent comme elles sont mais s’accroissent dans leur propre sens de choses abandonnées à leur agitation.
— Pierre Vadeboncœur, L’humanité improvisée, 2000
Le 1er juin 1989, un projet de Musée… pour rire est déposé pour la première fois au ministère des Affaires culturelles du Québec. Présenté par le Groupe Rozon, il se concrétisera quatre ans plus tard, avec un important appui financier des différents paliers de gouvernement. Fermé dix mois après son ouverture puis rouvert, ce projet subira plusieurs transformations et suscitera de nombreuses critiques, jusqu’à la fermeture définitive du musée, le 1er janvier 2011. Pourquoi revenir aujourd’hui sur ce naufrage, annoncé avant même l’ouverture de ce temple de l’humour? Simplement parce qu’il illustre parfaitement les propos de Jean-Paul Curnier, dans le texte publié dans notre dossier. Mais aussi parce qu’en réunissant des morceaux d’un dossier patiemment recueillis par le journal Le Devoir pendant toutes ces années, cela permet de prendre le recul nécessaire pour mieux jauger les prétentions critiques de l’humour quand il se fait industrie. Merci au quotidien Le Devoir, le seul média québécois à avoir couvert cette saga sur toute sa durée: sans cet acharnement de sa part, le travail de contrepoint que nous vous proposons ici n’aurait bien sûr pas été possible.
«Tous les yeux sont braqués sur le nouveau Musée… pour rire qui ouvre ses portes le jour du poisson d’avril. Gilbert Rozon se cassera-t-il la gueule ou fera-t-il courir les foules?»
Paule des Rivières, «Musée de l’humour. À vos marques. Prêts. Riez!», Le Devoir, 26 mars 1993
[…] l’humour devient ennuyeux sinon douteux quand il ne supporte pas qu’on se moque de lui.
— Jacques Grand’Maison, Quand le jugement fout le camp, 1999
«Hier soir, la plupart des manifestants qui s’étaient rendus en face du musée, rue Saint-Laurent, étaient associés au groupe Les Animeries. Ils avaient choisi le costume d’itinérant pour deux raisons. D’abord, parce qu’au moment où s’ouvre un musée ayant reçu une imposante manne gouvernementale, la présidente des Animeries, Mme Louise Gendreau, veut rappeler que les petites maisons crèvent.
Les artistes des Animeries (qui font de l’animation et du théâtre musical) ont bien failli se trouver non pas à l’extérieur mais à l’intérieur du musée hier soir. Ils avaient été invités à animer la soirée, en présentant un numéro imaginé par les gens du musée. Ils se seraient déguisés en itinérants et, une fois que les invités seraient passés à table, auraient ouvert leur manteau et présenté le menu du dîner aux invités, inscrits sur un tissu posé sur leur ventre.»
Paule des Rivières, «Le Musée… juste pour rire. Un départ en queue de poisson», Le Devoir, 31 mars 1993