Le séduisant mépris de l’antipopulisme
Engoncé dans le mauvais sommeil d’avant les longs vols matinaux, agité par la fébrilité ambiante, je me suis réveillé en sursaut dans le cauchemar de la victoire de Trump, en cette noire nuit de novembre dernier. Uni dans ma solitude télévisuelle à des millions de spectateurs impuissants de l’histoire en train d’advenir, j’étais supérieurement horrifié. Comment ne pas mépriser l’aliénation profonde de ces foules confiant à un milliardaire narcissique, roi de l’économie-casino, sans autre fidélité que la promotion constante de son nom, le soin de s’attaquer à l’establishment et de défendre les intérêts des travailleurs floués par la mondialisation? Comment ne pas juger avec hostilité ces électeurs ayant cautionné la misogynie, le racisme et les mensonges éhontés de Trump, ces foules de rednecks «bas de plafond» si laids avec leur casquette rouge et leur accoutrement de chez Walmart?
Emporté par la légitime colère contre l’incroyable puissance confiée à ce troll en chef et, à travers lui, aux acteurs de la financiarisation du monde, je me plaisais à réduire ses électeurs à d’obtus imbéciles d’arrière-pays. L’évidence de l’horreur, qui réclamait une expression vive, immédiate, souvent sarcastique (socialmédiatisée bien sûr), me faisait ignorer le sentiment de supériorité se faufilant dans mon regard et mon jugement. Confortablement installé dans un hôtel étranger, entre deux colloques, j’étais aveugle au fait que par ma domination culturelle, comme par mon «nomadisme», j’incarnais une des figures de l’ennemi. Je pouvais encore moins me dégager partiellement des rets de ma propre aliénation, pour entrevoir la portée critique de cet amalgame de rancœurs, de nihilisme et d’ambitions dont Trump est le nom.
Ce n’est que peu à peu, tiraillé entre l’ahurissement devant l’événement et le besoin de comprendre, que l’inconfort du rejet dédaigneux est devenu trop fort pour m’y complaire. Ce fut en partie l’empressement de tant de chroniqueurs et de spécialistes à aller au-devant de la collective demande de sens, pour mieux triompher de ce moment médiatique, qui me fit éprouver les limites de mes premiers jugements. Dans la hâte de catégoriser, on a fait un obsédant emploi d’une notion censée rendre raison de Trump, du Brexit, de Le Pen et de Rambo Gauthier, mais tout aussi bien de Bernie Sanders, de Podemos et de Syriza, sans oublier la téléréalité: le populisme. Qu’une telle étiquette puisse recouvrir des phénomènes aussi divers signale son caractère problématique.