Sirupeux
Il n’a pas de nom ce pays que j’affirme et renie au long de mes jours.
— Jacques Brault, Suite fraternelle
Le documentaire de Francis Legault sur «notre» sirop instruit, fait rire, émeut. Les images qu’il nous offre sont belles; l’image qu’il offre de nous l’est encore plus. On peut, pour s’en convaincre, se rappeler l’ovation qu’on lui offrit lors de sa première, aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), en novembre 2017. Prenez Gilles Vigneault, notre chantre national, et Fred Pellerin, notre conteur de village, tirez-leur une bûche et faites-les jaser de leur érablière. Dès lors, ils vous parleront du pays, de la langue, de l’identité. Car le sirop d’érable, ici, est un prétexte permettant de parler de notre histoire, de notre société, de nos mœurs et même de l’éducation, du capitalisme, du réchauffement climatique. En cela, le documentaire de Legault fait mouche. Mais c’est quant au sens qu’il injecte dans la canne qu’il doit éveiller des soupçons. Ce documentaire a plu parce qu’il a su flatter notre casse de coureur des bois dans le sens du poil et présenter une image, non qui nous ressemble réellement, mais à laquelle nous nous complaisons à ressembler. Travaillants, patients, résilients, humbles, généreux, pacifiques, désintéressés, festifs, têtus… telle est l’image que nous tend, dans sa flaque sirupeuse, cette œuvre flagorneuse.
Les premières images nous présentent Fred Pellerin (pèlerin?) s’embourbant dans un sentier enneigé, armé de bidons et d’un vilebrequin. Il entaille, comme un seul homme, débonnaire et besogneux, les érables qui l’exhortent par leur stature et l’encouragent par leurs promesses. On cadre au plus près chacun de ses coups de marteau et entrecoupe ses actions de plans larges, le situant à l’extérieur de toute ligne des tiers, de façon à le perdre dans l’immensité de la forêt, à souligner sa petitesse, la modestie de son geste, et donc, sa vaillance et sa détermination. Chaque entaille sera consciencieusement répétée, mais non sans une certaine allégresse que procurera la «symphonie» des gouttes s’abattant obstinément dans les récipients. Et on raccordera ces plans d’ensemble sur les précieux «diamants» qui s’écoulent de ces troncs noueux gorgés de sève, en petite profondeur de champ et en très gros plans, afin de nous persuader de leur valeur. Chaque goutte est précieuse et occupe, à l’écran, plus de place que l’ouvrier permettant de les extraire. Fred parle de l’«humilité» de cette goutte, recourant ainsi à une métonymie qui consiste, au fond, à dire l’humilité de l’artisan qui aura peiné si fort pour récolter si peu.
La petite Adèle – plus habile avec la langue que certains professionnels aux formules surfaites ou alambiquées – l’exprimera avec une joviale candeur: «C’est toujours étonnant de voir la quantité d’eau que tu ramasses et le peu de sirop que tu fais.» On recueille – péniblement, mais humblement – l’eau qui s’égoutte et on doit – longuement et patiemment – la faire bouillir. On passe alors à un acériculteur qui exemplifie la blanche remarque en récitant ses chiffres en gallon. Puis, on retrouve Fred, ahanant, portant ses seaux à bout de bras, s’enfonçant jusqu’aux genoux, renversant malencontreusement quelques gouttes. Sa maladresse tordra les viscères. Au terme d’un montage syncopé, on remarquera d’ailleurs comment cette eau – virilement déversée par une cohorte d’hommes dans une image au ralenti – en vient même à ressembler, cadrée de très près, à une autre de nos richesses naturelles: les chutes d’eau qui actionnent les turbines de l’Hydro.