Féminismes en scène: au-delà de la parole, la chair
Je ne serai plus jamais nulle part en vous
en exil de moi
me voici debout devant vous
riant au milieu de moi
– Madeleine— Denise Boucher, Les fées ont soif
Je me suis demandé ce qu’il adviendrait si je critiquais le théâtre féministe. Il y en a si peu et le regard que les médias posent sur lui est rarement reluisant. Vais-je jouer le même jeu si j’affirme que je suis généralement déçue des spectacles qui se réclament du féminisme ou qui disent représenter les réalités des femmes de ma génération? Me dirais-je que je n’ai pas été assez accueillante? Vais-je sentir que je rejette ce travail de création ou que je suis à contre-courant des femmes qui prennent la parole, depuis plusieurs mois, en faveur de la parité au théâtre? Je pense aux différentes initiatives comme les Femmes pour l’équité en théâtre (FET) ou le tout récent La Coalition de la Robe, livre-recherche-création à six mains de Marie-Claude Garneau, Marie-Ève Milot et Marie-Claude Saint-Laurent, paru aux Éditions du remue-ménage cette année. Les auteures et comédiennes y analysent et y mettent en jeu la présence (et surtout l’absence) des femmes sur les scènes québécoises, ainsi que la banalité des rôles qui leur sont attribués. Le calcul mathématique du pourcentage des femmes qui se retrouvent sur les scènes québécoises, la dénonciation du peu de subventions accordées aux femmes, des distributions trop souvent masculines et des inégalités perpétuées dans l’enseignement même des écoles de théâtre sont des enjeux qu’il est nécessaire d’aborder, mais d’autres le font mieux que moi. Au-delà de ces questionnements, les réflexions de fond autour de nouveaux discours féministes et d’une diversité des représentations féminines ou queer au théâtre m’apparaissent reléguées au second plan.
Il m’a paru plus judicieux d’occuper pleinement mon rôle de spectatrice. Dans les derniers mois, j’ai arpenté les salles à la rencontre de ce théâtre fabriqué par des femmes ou des personnes sensibles aux enjeux de genre, attentive à la manière dont peuvent se renouveler ces paroles théâtrales dans l’espoir que les arts vivants aient encore la puissance de transformer notre monde.
Souvent, on fait l’amalgame entre «théâtre de femmes» et «théâtre féministe», un peu par inhabitude de voir les femmes prendre la parole sur scène. Je ne me souviens pas d’avoir entendu ce même qualificatif pour désigner le théâtre fait par des hommes. Une pièce créée par une femme qui porte un discours provocant est rapidement étiquetée de féministe. Dans cette perspective, un «théâtre de femmes» peut avoir une portée féministe par la présence dérangeante d’un corps féminin qui investit un espace majoritairement masculin, cisgenre, blanc. Mais c’est aussi par effet de mode et pour attirer un certain public qu’on utilisera l’épithète «féministe». Mais où peut-on voir un théâtre féministe opérant, un théâtre qui bouscule la norme et les stéréotypes de genre par des moyens esthétiques, formels et non seulement par son propos?