Critique – Scènes

Décoloniser la scène

Les mots pour raconter l’Histoire récente des Premières Nations du Canada font encore trop souvent défaut. La mémoire, qui a été entaillée, puis éclatée à coups de dogmes imposés, de dépossessions territoriales et de violences physique et psychologique, est lente à reconstruire. Le silence et la honte ont longtemps pris le pas sur la transmission des récits et des traditions. Ne reste dans les livres d’école qu’une Histoire de colonisation épurée, adoucie, où «les Indiens» sont divisés en chasseurs-cueilleurs et en cultivateurs, en maisons longues et en wigwam, en alliés ou en ennemis de la Nouvelle-France. Pendant trop longtemps, on a refusé aux Premières Nations le droit d’exister au présent, et encore plus de se dire ou de s’écrire. De s’inventer.

C’est en réponse à ce manque de parole au présent que les acteurs innus Charles Buckell et Marco Collin, conjointement avec l’acteur québécois Xavier Huard, fondent en 2013 les Productions Menuentakuan. Dans un paysage théâtral québécois homogène, le trio se donne ainsi pour but de poursuivre le travail de défrichage effectué avant eux par la compagnie Ondinnok, seule compagnie professionnelle de théâtre autochtone de langue française pendant plus de 30 ans. La mission du collectif, auquel se joindra l’acteur wendat Charles Bender en 2015, est de créer des spectacles qui proposent des points de rencontre entre les cultures des Premières Nations du Canada et les cultures allochtones, tout en s’ancrant dans des thématiques et un imaginaire contemporains.

Dans leur plus récente production, la troupe retourne vers l’histoire douloureuse des pensionnats autochtones afin de mettre en scène un récit laissant la place au pardon et à la guérison. L’idée vient à Charles Bender en 2010, alors qu’il interprète le rôle de Mooch dans la pièce Where the Blood Mixes, de Kevin Loring,auteur dramatique de la nation Nlaka’pamux en Colombie-Britannique. Le texte, récompensé par le prix du Gouverneur général en 2009, résonne si puissamment chez Bender que celui-ci décide de s’attaquer à sa traduction et à sa mise en scène. À la suite d’une discussion avec Kevin Loring, Charles Bender accepte de ne pas déplacer le récit original en contexte québécois, réalisant que quelque chose dans l’urgence et l’actualité du propos relève d’un universel qui se place au-delà des spécificités d’une communauté ou d’une autre.

N° 320: Îlots urbains

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